« Notre industrie a tout à gagner à travailler toujours plus en local »
Après avoir travaillé des années dans de grands groupes français et internationaux dans le domaine de l’eau, Yann Jaubert rejoint en 2009 une entreprise « à taille humaine » qui s’est rapidement avérée être en cessation de paiement. Cet ingénieur de formation, convaincu par le potentiel de l’entreprise, décide alors de la reprendre avec une autre société et fait le pari, à l’époque novateur, du made in France. Le groupe, connu désormais sous le nom d’ALFI Technologies, est aujourd’hui une PMI leader sur le marché de l’ingénierie et de la fabrication de lignes de manutention et de solutions de production automatisée. Yann Jaubert, ambassadeur de la French Fab en Pays de la Loire depuis ses débuts, partage avec nous sa vision d’une industrie française durable et performante.
De situation critique en 2009 à PMI de référence aujourd’hui… Comment expliquez-vous la métamorphose d’ALFI Technologies ?
Avant tout, par une volonté très forte et partagée : nous développer pour maintenir les emplois sur notre territoire. Et nous avions la conviction que pour y arriver durablement, il fallait faire du made in France et investir fortement en innovation. C’est ce que nous avons fait, sans jamais y déroger. Aujourd’hui cela parait une évidence mais il y a 13 ans, nous étions vraiment à contre-courant ! Le pari s’est révélé gagnant, grâce au formidable travail de toutes les équipes. Parce qu’avoir une stratégie c’est indispensable, mais encore faut-il avoir les bonnes compétences pour la mettre en œuvre : c’est la clé de voute.
Si bien que nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 15 à 50 millions d’euros aujourd’hui. Notre stratégie de développement repose toujours sur les 3 mêmes piliers : une industrie respectueuse des opérateurs, de l’environnement et connectée. Le triptyque essentiel selon moi pour développer notre industrie française. Ce n’est pas toujours évident mais nos efforts paient : nous faisons partie des premières PME à avoir été labellisées Vitrine de l’industrie du futur, c’est une très belle distinction dont nous sommes très fiers.
Vous parlez du rôle clé du travail d’équipe dans la réussite de votre entreprise. Avez-vous des méthodes de management particulières pour générer cette implication collective ?
Avant tout, j’ai toujours parié sur la diversité des origines, des formations, des horizons… Cela apporte une richesse incomparable à l’entreprise. Pour les mêmes raisons, j’aimerais vraiment que les femmes investissent davantage nos industries, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. En termes de méthodes, nous privilégions le management participatif : même dans un cadre industriel qui demande rigueur, on peut laisser libre cours à une partie d’initiative ! On a aussi travaillé sur des organigrammes les plus plats possibles, pour permettre l’implication de tous. Mais au-delà de méthodes, je pense que c’est le positionnement même d’ALFI Technologies qui motive naturellement les équipes : développer des solutions différenciantes, technologiques, qui apportent de la satisfaction aux clients, ça nourrit la fierté et donne envie de toujours plus s’impliquer ! Et enfin je crois qu’il existe un véritable esprit de famille sur nos territoires que l’on cultive chez nous : nous favorisons les sous-traitants et les partenaires locaux, le développement des équipes se fait principalement en proximité…
La pénurie de main d’œuvre est au cœur de toutes les conversations, dans l’industrie comme dans tous les autres secteurs. Quelles sont les solutions pour y pallier ?
Il n’y a pas de solutions miracles, mais la meilleure à mon sens : donner envie aux jeunes de se former à nos métiers et de nous rejoindre ! Construire des liens forts avec les étudiants, aller au-devant des écoles de la région, pour leur faire connaître notre industrie, sa capacité à innover, toutes les opportunités qu’elle offre… C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avons imaginé avec les Arts et Métiers d’Angers le format « French Fab Challenge » : une offre régionalisée de challenges étudiants à destination des PME, pour faire venir les jeunes dans nos industries. Chaque école garde son propre programme pédagogique et son format de challenge, la marque French Fab Challenge est là pour donner une visibilité régionale à la démarche. Nous sommes la seule région French Fab à avoir lancé cette dynamique, c’est vraiment un dispositif unique. Et ça marche ! In situ, les jeunes découvrent les usines, les équipes, le style de management, la proximité avec la direction qui n’est pas permise dans les grands groupes, l’omniprésence de l’innovation…
Chez ALFI Technologies, nous développons aussi des relations particulières avec les lycées, nous misons sur l’alternance, nous organisons des journées portes ouvertes pour les écoles… Plus on donne accès à nos usines, plus elles deviennent attractives. Nous ouvrons même nos portes dans le cadre d’un programme de tourisme industriel ! Dans ces cas-là, ce sont souvent les grands parents qui viennent et qui en parlent ensuite à leurs petits-enfants !
Quel est votre rôle aujourd’hui en tant qu’ambassadeur de la French Fab en Pays de la Loire ?
Avec mes 4 homologues, on échange, on sert de baromètre à la Région des Pays de la Loire en remontant les infos, les enjeux à venir… et nous proposons des manifestations pour apporter des réponses aux industriels sur les sujets détectés. Comment intégrer les nouvelles technologies, comment travailler sa marque employeur, comment opérer ses transitions… autant de thèmes qui préoccupent bon nombre d’industriels ! On a la chance d’être dans une région extrêmement mobilisée sur ces sujets, notre rôle a donc évolué au fil du temps. Au lancement de la French Fab, l’enjeu était d’opérer une révolution culturelle dans l’industrie, il y avait un gros travail de pédagogie à faire. Aujourd’hui, la plupart des grands acteurs se sont emparés du mouvement French Fab. Notre mission, comme tous les membres de la communauté d’ailleurs, est donc de continuer à défendre une industrie innovante, au service de l’environnement, des générations futures et des territoires.
Et à titre personnel, je continue à partager une conviction qui m’est chère : on a tout à gagner à travailler toujours plus ensemble en local. Beaucoup d’entreprises se modernisent mais continuent d’acheter en Chine, et pas en France… Cela demande de l’investissement et beaucoup de persévérance, mais je reste persuadé qu’avec des supply courtes, on gagnera tous en agilité, en créativité, en innovation… et donc en résilience. On n’en est qu’aux débuts !