L’électronique, une formidable filière stratégique
Sébastien Rospide est le Directeur Général de We Network. Acteur incontournable de la filière électronique et de l’IoT en France, ce centre technique ligérien est basé à Angers, au cœur du Technocampus Électronique et IoT dont il est l’animateur. À l’heure où la réindustrialisation de la France a été clairement positionnée comme un enjeu prioritaire, Sébastien nous explique avec passion en quoi le rôle de la filière électronique est hautement stratégique et comment We Network contribue chaque jour à sa valorisation et son développement.
We Network fêtera ses 10 ans en 2024. Comment le centre technique est-il né ?
Il est important de repositionner le contexte de l’époque pour bien comprendre : s’il y a 10 ans, l’électronique était très connue, c’était surtout sous le prisme des délocalisations vécues à partir de la fin des années 90s, quand la France était alors le 2ème producteur de téléphones dans le monde ! Cette déconstruction du tissu industriel électronique dédié aux marchés de masse a rendu invisible tout un écosystème centré sur les petits et moyens volumes, une filière forte et stratégique : l’assemblage électronique pour les marchés professionnels. All Circuit, Éolane, Lacroix, AsteelFlash,… Nous avons en effet la chance d’avoir dans notre région, la première de France pour le marché de l’électronique professionnelle, plusieurs sous-traitants de production électronique positionnés dans le top 50 mondial et le top 10 européen. Et c’est sans compter tous les acteurs de taille intermédiaire ainsi que les plus petits, qui permettent de répondre à toute la diversité des besoins et des applications !
Parallèlement à cela, en 2012-2013, Louis Gallois sort un rapport sur la compétitivité industrielle française, dans lequel, en synthèse, il affirme qu’elle est en déclin, mais que rien n’est inéluctable : la réindustrialisation du pays passera par notre différenciation par le haut, ou, en d’autres termes, par l’innovation. C’est dans ce contexte que l’on a formulé la feuille de route de We Network : revaloriser les forces de l’électronique professionnelle, trop peu visibles de toutes ses parties prenantes, que ce soit auprès des clients, des autorités publiques ou encore des fournisseurs.
Pourquoi était-ce stratégique ?
Tout simplement parce que sans assemblage électronique, il n’y a pas de socle matériel capable de recevoir les technologies, et donc il n’y a ni digitalisation, ni exploitation de données possible, ni innovation industrielle in fine. Et c’est précisément grâce à l’innovation que notre industrie française peut rester compétitive sur un marché mondialisé. En d’autres termes, il était fondamental de valoriser le rôle clé de la filière électronique professionnelle car c’est elle qui permet la diffusion des innovations dans toute l’industrie.
Concrètement, où retrouve-t-on l’électronique sur le marché professionnel ?
Impossible de répondre à cette question de manière exhaustive tant le champ des possibles est infini ! L’électronique se diffuse de manière exponentielle dans les tous les champs qu’elle pénètre car on exploite de plus en plus de données grâce aux capteurs et aux systèmes de traitement associés. On peut citer par exemple, les chaussures de sécurité connectées qui ont fait un carton au CES : elles ont le pouvoir de détecter les situations à risque et préviennent les chutes. Mais il y a aussi et surtout tout ce qu’on ne voit pas, c’est le domaine des technologies embarquées qui touche toutes les filières industrielles : les capteurs de vibrations sur les machines pour surveiller l’évolution des performances et anticiper d’éventuelles pannes, des systèmes connectés à l’arrière des tracteurs, pour vérifier la bonne évolution des cultures, les ruches connectées qui permettent suivre la santé des abeilles… Pour faire simple : pour être plus efficiente, que ce soit au niveau économique, environnemental ou sociétal, l’industrie a besoin de mesurer, et donc d’instrumenter, et donc de capteurs… et donc d’électronique !
Et quelle est la promesse We Network auprès des acteurs de cette filière, et plus largement du monde industriel ?
Elle est triple et dans tous les cas, nous nous positionnons comme tiers de confiance. Notre première mission est de rendre les acteurs de l’électronique visibles auprès de leurs clients industriels potentiels. Nous aidons ces derniers à formaliser leurs besoins, à identifier des solutions qui peuvent y répondre et nous les mettons ensuite en relation avec les bons acteurs de l’électronique, en favorisant les boucles les plus locales possibles et en veillant à sécuriser leurs parcours. Nous formons même 500 personnes par an pour les aider à mieux comprendre les enjeux et les atouts de l’électronique et des objets connectés (IoT). Nous gérons une centaine de projets par an : 90 % d’entre eux concernent des PME ou des start-up, 80 % dans notre région et 95 % dans le Grand Ouest.
Ensuite, notre rôle est de fédérer les acteurs de la filière électronique, les faire travailler entre eux, même s’ils sont concurrents : ils font le même métier, partagent les mêmes problématiques… ils ont donc tout intérêt à lever collectivement certains verrous ! Le challenge est relevé quand on parvient à mettre tout le monde d’accord autour de la table.
Et enfin, nous opérons un plateau technique au service de nos adhérents pour qu’ils puissent créer des prototypes, des démonstrateurs, développer leurs projets et bien sûr à terme, identifier des producteurs qui leur permettront de passer à une logique de série industrielle, tout en encourageant le made in France.
Nous avons finalement la chance d’être au cœur du Technocampus électronique et IoT, un lieu unique en France, que nous partageons avec une dizaine d’autres acteurs de la filière et dont nous sommes l’animateur. Espace Makers, ligne d’assemblage électronique… C’est un espace ouvert, un lieu d’innovation industrielle qui accueille des entreprises pour leur permettre de se familiariser avec les technologies, mais également des jeunes pour leur faire découvrir cet univers.
Vous êtes plutôt team French Tech ou team French Fab ?
Les deux ! Favoriser le lien entre la Tech et la Fab fait partie de notre ADN depuis la naissance de We Network. Parce que la Tech pourra continuer à être produite en France si et seulement si elle est aussi injectée dans nos usines et que ces dernières se mettent à l’heure du 4.0.
Comme partout ailleurs, l’industrie a du mal à recruter. Que diriez-vous à un potentiel candidat pour le convaincre de rejoindre la filière électronique ?
La vérité ! Que l’électronique répond à plein de cas d’usages sur les marchés professionnels, auxquels elle apporte des solutions à très court terme. Ce qui est passionnant dans cette filière, c’est que l’on voit très concrètement l’impact positif des technologies. C’est une filière du « faire », qui s’intègre à tous les secteurs d’activité (la santé, l’énergie, la sécurité, l’agriculture…) et qui offre une diversité incroyable de métiers et des perspectives énormes pour celui ou celle qui s’y intéresse. On invente, on fabrique même, des solutions pour résoudre des problématiques passionnantes, en lien avec les enjeux de société actuels, et notamment sur le sujet des transitions environnementales. C’est une aire de jeux sans limite !
En parlant enjeux environnementaux, que pensez-vous de l’impact du numérique ? La low-tech est-elle une solution ?
À low-tech, je préfère utiliser l’expression de « juste tech ». Car oui le numérique a un impact environnemental, mais il est nécessaire de regarder le bilan dans son ensemble. Car pour optimiser l’empreinte d’une action, il faut mesurer, piloter et agir en fonction… et ça, cela nécessite de la tech ! Je crois plutôt qu’il est question de bon sens, comme dans toutes les industries : il ne faut pas faire une Ferrari pour les besoins d’une 2 chevaux ! Penser la juste tech pour le juste besoin plutôt qu’opter pour une grande uniformisation dans des plateformes standardisées. D’où la pertinence d’une toujours plus grande diversité des solutions ! Le sujet n’est pas d’arrêter l’usage des technologies, mais plutôt de changer les pratiques, d’optimiser les systèmes de production pour être plus vertueux, de considérer l’impact environnemental dans tous les choix que nous faisons. Favoriser la réparabilité, agir sur l’impact de l’agriculture, des transports, des industries… Prenons l’exemple de l’agriculture qui fait face à un enjeu de préservation de la ressource en eau. En mesurant le niveau d’humidité de la terre, on peut déterminer la juste quantité d’eau à lui apporter, au juste moment, et au bon endroit. Il faut donc monitorer et calculer : seule l’électronique est en capacité de le faire. C’est par ce genre d’exemple que l’on comprend l’enjeu stratégique de cette filière et pourquoi il faut la développer et l’animer !
Un dernier message pour donner envie aux jeunes talents de faire carrière dans vos métiers ?
Vous souhaitez vous engager pour une cause ? Alors engagez-vous pour l’une des plus belles, celle de l’industrie ! La meilleure illustration de ce propos c’est lorsqu’on écoute tous ceux qui ont déjà 30 ans de métier derrière eux : il y a encore des étoiles dans leurs yeux !